DESIGN ET CONTRE-PRODUCTION/ Studio Lo

"L’imaginaire de notre époque, c’est celui de l’expansion illimitée, c’est l’accumulation de la camelote(...), c’est cela qu’il faut détruire. Le système s’appuie sur cet imaginaire- là." (Cornelius Castoriadis)



Pas un mouvement contestaire n’a été en mesure d’endiguer la propagation de la société de confort. Et bien qu’elle aie aujourd’hui franchit la grande muraille, de nouveaux discours critiques émergent.
Les mêmes maux, entraînant les mêmes réserves, ils  ont un air de déjà-vu. Monotones dans leur développement, prévisibles dans leurs conclusions,  ils sonnent à nos oreilles post-post-modernes comme une même langue marxisante, au mieux frappée au coin du bon sens, au pire désespéremment banale. Le discours écologique lui-même, détourné par le politique, capté par le marketing, rabâché par les medias, est au bord de l’usure.

Pourtant pouvons nous faire l’économie d'une critique du capitalisme? Les rapports de productions n’ont jamais été aussi dysmétriques, la concentration du capital et des moyens de production atteignent des sommets historiques, la surproduction est la règle et l’epuisement des ressources, un fait... il y a, sous le formalisme froid de la grammaire marxienne, quelquechose de douloureusement réel.
Pourquoi donc nous agrippons-nous, de toutes nos forces, à notre mode de vie, alors que sa durabilité tient pour nécessaire, et cela nous le savons, le maintien du reste de l’humanité dans la misère? Souhaitons-nous que l'Afrique sub-saharienne rate son décollage pour la compter longtemps parmi les meilleurs élèves du protocole de Kyoto?
Sans doute espérons-nous que le progrès technologique nous sauvera des leçons de morale. Mais faut-il attendre ce Deus ex machina, alors que rien n’atteste que l’énergie verte pourra pourvoir à tous nos besoins? Cela ne nous tourmente pas vraiment dans nos actes de consommation auquels nous attribuons d'abord un caractère individuel. Attendant des biens et de services qu'ils satisfassent nos besoins, avant de satisfaire ceux des autres, nous ignoront ce qu'impliquent nos choix en amont comme en aval. Une situation qui bouge avec la montée de l' inquiètude écologique.

Cette évolution individuelle des mentalités en occident, vers un élargissement altruiste de l'approche centrée  consommateur , n’a  cependant pas pénétré les structures de l’entrepreneuriat, l’éthique y étant souvent inversement proportionnelle à la taille. Et pour cause, comment atteindre la grande échelle, sinon par une forte profitabilité, dont Marx prophétisait les méthodes, aujourd'hui si familières (destruction d'emplois, compression des salaires, mise en compétition des salariés..). Or  ce sont bien les activités de ces "personnes morales”qui structurent le plus significativement nos conditions d’existence.
La quasi-totalité des avant-gardes artistiques et politiques a négligé cet acteur ou s’en est fait un ennemi alors qu’il réunit les moyens humains, techniques et économiques les plus conséquents. S’il faut cesser d’interpréter le monde pour le transformer, l’entreprise devrait être laboratoire de cette transformation.
Et cela se serait sans doute déjà produit si nous étions des agents rationnels régulant l’offre par la demande, sur la base d’informations pures et parfaites. Mais nous mesurons à quel point nous sommes loin du dogme de l'économie néo-classique, tant nous percevons mal la portée de nos actes de consommation. Non seulement nous ne recherchons pas de telles informations, mais même si nous en disposions, il nous serait difficile de les interprêter. Bien sûr nous savons que lorsque nous exigeons le meilleur prix, nous exigeons du même coup de la main-oeuvre bon marché et que cela ne se trouve pas sous nos latitudes. Mais si cela est souhaitable ou non dans une économie globalisée, cela nous l’ignorons.. le monde de l’entreprise quant à lui, ne se pose pas de telles questions et considère toute demande comme légitime.

La réduction au superminimum ne s’appuie pas sur un idéal ascétique qui aurait pour but de prévenir la corruption du corps et de l’esprit, par la mise à distance des plaisirs matériels, mais d’appeler à l'émergence d’un entrepreneuriat plus modeste, répondant justement par sa proximité et sa disponibilité, à notre exigence de compréhension des rouages de la production et in fine au partage équitable de ses fruits. C’est la nécessité donc, d’une répartition plus équilibrée des plaisirs, et non de leur privation, qui en constitue l’horizon.

Son sens de l’économie s’oppose en fait à l’idéologie du luxe pour tous, faisant l’hypothèse que le luxe, à l’âge contemporain, n’est pas seulement réservé à quelqu’uns, mais caractérise l’état général d’un occident, vivant aux dépends du reste du monde.
Si le luxe, en tant qu’il est ce qui excède la  survie, n’appelle aucune espèce de commentaire, car comme le dit Mandeville dans sa Fable des abeilles « on ne trouve que du luxe au monde, même chez les sauvages tout nus », il n’en va pas de même du luxe qui excède le superflu intrinsèquement humain, pour lequel , selon les mots de Rousseau, “toutes les régions du monde ont été mises à contribution[…] a coûté la vie à peut-être un million d’hommes et tout cela pour lui apporter en grande pompe à midi ce qu’il va déposer le soir dans sa garde robe.”
Cette critique du luxe excessif perdure jusqu’à nos jours, et nous amène d’ailleurs à douter des vertus que Voltaire et Mandeville lui prêtaient. A t-il véritablement “réuni l’une et l’autre hémisphère. » et ”les pauvres  eux-mêmes vivent(-ils) mieux que les riches de jadis »? On est en droit d’en douter , même si la durée de vie a effectivement connu partout une hausse significative, quand on constate que l’écart entre les pays les plus développés et les pays les plus pauvres  s’est multiplié par quatre depuis  les années 50 et que près de 300 millions de personnes dans le monde, la plupart située dans l’autre hémisphère, vivent avec moins de un dollar par jour.

Quant à son alliance avec les arts... à éplucher les magazines de Lifestyle, il n’est pas sûr que du flirt actuel du design avec le luxe d’ostentation sorte quelquechose d’innovant ou de fédérateur. Il produit au mieux des modèles dégradés en direction des masses, au pire d’inutiles gesticulations à destination de medias réclamant chaque jour leur lot de nouveautés. Le devoir d’originalité s’affirme en fait comme la convention du siècle naissant, détournant le design en pointe et ses commentateurs, des affaires courantes, comme l’a justement remarqué Jasper Morrisson(ilism vs. Uselessnism 2002 Everything but the Walls Lars Muller Publishers).

La surconsommation actuelle, consistant à posséder plus que nécessaire et plus que les autres, est  la version de série du luxe, mais loin d’excéder la survie, ce luxe de masse menace de ne même pas  l’assurer.

Le superminimum, s'il veut éviter d'en être l'obligé, ne peut négliger de poser à nouveaux frais la question de l’abordabilité, conscient que le prix minimum ne peut s'obtenir que par un rabais sur  la qualité, la protection sociale ou la vigilance environnementale. L’idéologie du discount et le discours soixante-huitardoïde de la grande distribution tel que l'irrésistible "il est interdit d'interdire de vendre moins cher" d'E. Leclerc, n’étant que  l’ultime mystification du capitalisme de grande échelle. Au contraire, un bien ou un service superminimum devra pouvoir rétribuer décemment l'ensemble des acteurs de la chaîne de production, tout en conservant un prix accessible à quiconque souhaite encourager une telle démarche.
 
L’esthétique superminimum, quant à elle, ne s’oppose pas plus au recours à l’ornement , accablé par les modernes,  qu’elle ne croit nécessaire la nudité d’un homme nouveau, dépouillé des oripaux de la tradition. Elle la défend au contraire, contre l’uniformisation de notre univers manufacturé, comme signe de la vitalité des cultures.
Le minimalisme peut tout aussi bien lui convenir quand il n’est pas recherché pour lui-même, mais par pauvreté généreuse. Polymorphe par nature, elle troque la séduction contre n’importe quel vocabulaire formel, pourvu qu'il incarne son programme.

Que le pouvoir de séduction du design en fasse aujourd’hui l’auxiliaire de la société de surconsommation, n’implique pas qu’il lui soit impossible de sortir de cette vassalité, que ce soit en valorisant le rébut, en s’adressant à la petite échelle, à des individus en chair et en os ou  en cherchant la rentabilité plutôt que la profitabilité.
Ainsi réduit, il sera alors considéré pour rien  par le système de prédation économique actuel, tout en s’assurant un revenu d’existence le laissant libre de ses mouvements , remettant à plus tard la reconnaissance de son utilité publique.

C’ est ce rien, démultiplié à l'infini, qui prend le nom de superminimum.




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